Il y a 2 ans, pour les 60 ans de mon papa, j’évoquais
cette conasse de Parkinson arrivée 15 ans plus tôt en indiquant "J’me permets, on commence à se connaître". Sauf que j’avais tord. On ne se connaissait que trop peu. Aujourd’hui encore, je peine à détailler les implications précises de ces 3 petites syllabes à 3 lettres (c’est bien, c’est carré) : PAR-KIN-SON.
À l’occasion de la journée mondiale contre la maladie (certains célèbrent ça
le 9 avril, d’autres
le 18) et parce que je suis assez persuadée qu’on va peu en parler dans les media (pas trop à la mode), j’ai eu besoin de refaire le point.
J’avais 14 ans quand son nom est arrivé pour la première fois. À peine 14 ans. 14 ans moins 3 jours. Et ce n’était pas vraiment la première fois non plus que j’en entendais parler. Mais ne commençons pas à jouer sur les mots, ça casserait le sens dramatique (ironie).
Bien sur, j’avais entendu des blagues avant… Du grand humour s’il en est : “tu trembles, vas-y t’as Parkinson, t’es comme le pape” —
esclaffade. C’était l’époque de Jean-Paul II. À 14 ans on ne sait pas grand-chose de la maladie. Voire même rien. Ce que je sais c’est qu’à partir de là, la blague a commencé à tourner aigre, mais j’ai mis près de 17 ans à me demander ce qui se cachait réellement derrière.
On sait d’où ça vient ?
Non, pas forcément. On parle de "terrains favorisant le développement de la maladie", "une combinaison de facteurs environnementaux et génétiques prédisposant". Ce n’est donc pas nécessairement génétique (pfiou !). Et dans les causes évoquées on parle de pesticides.
On parle aussi de ce shit, ce teu-shi, cette merde si tu veux, que mon papa a sûrement un peu consommé quand il portait des pantalons trop larges en bas, des cheveux trop longs en haut, et que Pink Floyd raisonnait dans la 4CV sur les chemins du Maroc. Mais c’est sûrement une légende urbaine, pour effrayer les jeunes enfants…
Pour ce qui est des pesticides, le lien a été reconnu en mai 2012 en revanche.
Officiellement, par décret (c’est pour dire). Les pesticides, tu sais, ces trucs que l’on met sur les fruits, les légumes, pour que ça pousse. A la fin de sa vie, mon papi, papa de mon papa, se vantait de nous balader dans son jardin, entre ses choux et ses poireaux, au milieu de légumes bio, "sans produits chimiques". Mais à l’époque, avant, du temps où mon père allait donner un coup de main et où ils s’envoyaient des tomates pourries au visage avec son grand-frère, à cette époque là "fallait que ça pousse". Fallait vivre ! Alors on aspergeait.
Oui, je suis une petite fille de maraîcher. Il y a certains trucs qui sautent des générations…
Bref on ne sait pas trop. Comme on ne sait pas trop soigner. "On" met en place des
protocoles, on essaye, et on voit.
En revanche on parle de 150 000 personnes atteintes, majoritairement âgées de plus de 55 ans. On a toujours fait les choses mieux que tout le monde dans la famille. 10 ans d’avance ?
Hell yeah!
Voilà pour la partie chiffrée de l’histoire. Je n’ai jamais été bonne en chiffres. Au delà de 100, ils perdent leur sens. C’est quoi 150 000 personnes ? Combien de familles, d’amis ? Combien de médecin, de généralistes, de neurologues ? Combien de neurones qui disparaissent ? Ah oui tiens, parce qu’on n’a pas parlé de l’essentiel, c’est quoi la maladie de Parkinson ?
La maladie de Parkinson est une affection neurodégénérative chronique, lentement évolutive, d’origine le plus souvent inconnue. Elle touche une structure de quelques millimètres située à la base du cerveau et qui est composée de neurones dopaminergiques qui disparaissent progressivement. Leur fonction est de fabriquer et libérer la dopamine, un neurotransmetteur indispensable au contrôle des mouvements du corps, en particulier les mouvements automatiques.
T’as compris ? C’est France Parkinson qui le dit.
Chaque malade est différent il paraît.
Chez nous, au tout début, franchement, ça n’a pas changé grand-chose. Juste certaines blagues n’étaient plus drôles. Et au fur et à mesure on s’est habitué à voir mon papa manger des cachets comme les gamins s’enfilent des bonbons. Mon père étant le fils de ma grand-mère, les bonbons ne sont jamais loin non plus.
Et puis de protocoles en modifications de traitement, on lui a permis de devenir un super héro ! Rien que ça. Une histoire d’électrostimulation profonde… Concrètement, c’est plusieurs heures (4, 6 ou 8, fois 2 : une fois pour le côté droit, une fois pour le côté gauche), cloué à une table pour ne pas bouger (allez demander à une personne qui contrôle difficilement ses gestes de rester immobile tiens !), le crâne ouvert, on vous passe des électrodes qui remontent depuis deux piles planquées dans la poitrine vers la zone à stimuler, la structure de quelques millimètres située à la base du cerveau. Bien sur, comme on traficote dans votre cerveau et qu’on veut s’assurer de ne pas vous laisser comme un légume à votre réveil, pendant ces longues heures (fois 2) vous restez éveillé, là, en salle d’opération.
C’était l’enfer, rien de moins. Mais maintenant mon papa est sur pile électrique.
Sauf que ça ne soigne pas. Ça permet juste de donner un autre levier d’action dans le protocole pour stimuler les neurones qui restent. De toute façon, comme le disait encore une neurologue à mes parents récemment,
il n’y a rien qui soigne.
On peut accompagner, et faire en sorte de faciliter le quotidien.
Et c’est déjà pas mal.
Dans le quotidien, aujourd’hui, 17 ans plus tard, ce sont les traditionnelles difficultés à écrire, à boutonner une chemise, à manger de la semoule avec une fourchette (ça parait rien comme ça, mais au Fort Boyard des Parkinsoniens je ne suis pas sure que beaucoup auraient la clé dans cette épreuve), les pertes d’équilibre, les difficultés de mouvement, les raideurs musculaires. Mais il y a le reste, surtout. Les pensées parfois qui s’embrouillent et les proches (ma mère, cette
warior) qui s’évertuent à démêler la pelote de laine. Et le repli sur soi, l’impression, sûrement, sans doute, d’être seul face à sa maladie, bloqué dans une prison de verre où les mots peinent à sortir et les gestes sont maladroits. Pourtant on est nombreux dans la team
papa : femme, filles, gendre, frères et sœur, amis, belle-mère, médecins… Mais ça va faire 17 ans que la maladie a fait
ding dong à la porte, et je commence tout juste à apercevoir ce qu’elle cache.
Parkinson est une maladie découverte en 1817 par le docteur Parkinson, médecin qui n’a rien trouvé de mieux que de lui donner son nom. Charmant héritage. Mon héritage à moi, c’est, en partie, le sens de l’ironie et du second degré. Alors même si la blague est devenue aigre et que le quotidien s’est fait un peu amer, Parkinson comme tu sembles décidé à t’installer dans nos vies, il va être temps qu’on se regarde en face malgré la 'stache et la barbe de
hipster, histoire de trouver un moyen de garder le sourire, et de casser le sens du dramatique.